Le virus qui a engendré un naufrage inédit
Le confinement de la France à la mi-mars a stoppé net des pans entiers de l’économie, dont l’horticulture. En attendant d’inventer l’après-Covid, il y a urgence à gérer le présent !
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On pressentait notre société menacée par la pollution, la surconsommation, le changement climatique… et elle est en train d’imploser face à un microscopique virus, un danger que depuis près d’un siècle on s’imaginait capables de maîtriser plus ou moins facilement. Le secteur horticole n’échappe pas à ce « naufrage », comme l’a qualifié Marie Levaux, à la tête de la pépinière Ets Horticoles du Cannebeth, à Mauguio (34), que nous avons interviewée il y a quelques jours (voir encadré page 8 et notre site Internet). Une catastrophe après laquelle les printemps pourris de 2013 ou 2016 sembleront de bien légers accrocs…
Les dégâts considérables que la pandémie cause à l’horticulture ont deux raisons essentielles. La première est la saison à laquelle elle est survenue : le printemps, au moment où la filière enregistre quelques semaines de suractivité. La seconde est la brutalité avec laquelle tout est arrivé. Entre les premiers cas déclarés de maladie en France, les premières annonces pour faire face et la déclaration de la pandémie et le confinement imposé, il ne se sera guère passé qu’une dizaine de jours. Résultat, aucune anticipation n’a été possible dans les entreprises, des stocks ont dû être jetés à tous les étages de la filière, chez les producteurs, les fleuristes, les grossistes et dans les jardineries. Et c’est ce que mettent en avant les producteurs horticoles, qui réclament des aides aux pouvoirs publics : les plantes qui étaient prêtes à être commercialisées représentent un manque à gagner considérable, des produits sur lesquels ont été investis du travail et des fournitures. Une évidence pour les professionnels, moins pour les pouvoirs publics !
Productions horticoles : distorsion de concurrence
Autre élément aggravant : l’impossibilité de prévoir et d’anticiper le futur. Alors que deux semaines de confinement ont été annoncées puis deux autres, il aura fallu attendre le 13 avril pour avoir un horizon plus clair sur l’éventuelle sortie de crise, avec une fin de confinement annoncée pour le 11 mai. Comment, dans ces conditions, savoir s’il fallait jeter ou simplement ralentir les cultures ? D’autant que la réouverture progressive des jardineries, pour les plants potagers dans un premier temps puis pour l’ensemble des rayons ensuite, laissait, pour ceux qui œuvrent dans ce secteur, entrevoir l’espoir de débouchés pour leurs produits ! Depuis le 9 avril, les jardineries « qui sont ouvertes, vendent de l’alimentaire pour les animaux et des plants potagers… ont le droit d’ouvrir au commerce l’ensemble de leurs rayons, toujours dans le respect des pratiques sanitaires indispensables à la lutte contre le Covid-19 ». Cette bonne nouvelle, pour les jardiniers et pour les producteurs qui commercialisent leurs végétaux via ces jardineries, ne satisfait pas les horticulteurs orientés vers la vente directe.
Le 10 avril, la Fédération nationale des producteurs horticulteurs pépiniéristes (FNPHP) a donc lancé un appel national au gouvernement. « Face aux grandes surfaces alimentaires, à celles de bricolage et aux jardineries, les producteurs horticoles en vente directe sur leur exploitation sont les seuls à subir l’interdiction du commerce. Ils ne le comprennent pas, et comme eux la FNPHP trouve la situation insoutenable, en grave distorsion de concurrence », précise le syndicat professionnel. Au nom de l’équité entre les acteurs économiques face à la crise, elle demande que la vente des produits de l’horticulture sur le lieu de production soit rendue possible, sans délai. Les fleuristes, ainsi que neuf structures professionnelles européennes, lancent eux aussi des appels désespérés. Aucun d’eux ne saurait attendre le 11 mai, et un déconfinement progressif, pour relancer leurs ventes de printemps.
Le Lien horticole a relayé plusieurs des divers appels et mis en ligne les informations au fur et à mesure sur son site Internet (www.lienhorticole.fr).
Écoles : des apprentissages et examens très bousculés
Depuis le 13 mars (le 9 en Alsace et dans l’Oise), avec l’obligation de « fermeture de tous les établissements de formation… jusqu’à nouvel ordre, les continuités administrative et pédagogique doivent rester assurées par le centre de formation, à tous les apprenants (scolaires, apprentis, adultes) », a indiqué le ministère de l’Agriculture, via la direction générale de l’Enseignement et de la Recherche (DGER).
Pour les matières et modules initialement prévus, les équipes de formateurs redoublent d’énergie pour proposer une panoplie de cours. De multiples outils, plateformes et espaces numériques de travail (ENT) sont choisis et/ou privilégiés pour la concrétisation de cette continuité pédagogique.
Côté pratique professionnelle, dans le contexte de confinement général, il n’y a plus d’élèves dans les exploitations de production des écoles horticoles (ni même dans les fermes de lycées). Stoppés net les TP, stages, chantiers-école, voyages à l’étranger… Les apprentis devaient aller dans leurs entreprises mais ont généralement été éconduits, pour leur sécurité et leur santé.
Le 3 avril, le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, s’inscrivant dans les décisions gouvernementales (il applique les mêmes règles que l’Éducation nationale), a indiqué qu’il n’y aurait aucune épreuve terminale, hormis l’épreuve orale de français anticipée, les épreuves de rattrapage de bac techno et l’épreuve de contrôle du bac pro (si les conditions sanitaires le permettent). Les modalités de constitution des notes en vue de l’obtention des diplômes sont en cours de définition et de consultation.
Un avenir hypothéqué par une équation aux multiples inconnues
Comment le secteur sortira-t-il ce cette crise ? Quels en seront les effets à court et moyen terme ? On sait désormais que si le confinement commence à être levé le 11 mai, les lieux de vie urbains, restaurants, bars, ne rouvriront que plus tard. Peut-être une chance pour le marché du jardin : si toute la vie reprenait d’un coup, on peut imaginer que les citoyens, trop contents de recouvrer un peu de liberté, délaisseraient le jardin qu’ils ont bichonné pendant de longues semaines de confinement pour se retrouver. Une sortie progressive pourrait signifier au contraire pour les possesseurs de jardin continuer à l’embellir, pour en profiter, d’autant qu’ils ne partiront peut-être guère en vacances cet été… Mais des questions cruciales s’imposent : avec quels approvisionnements pourrait se produire ce rebond du marché ? Quel sera le pouvoir d’achat des clients après cette crise sanitaire et économique ?
Il sera intéressant de savoir quel sera l’avenir des Salons professionnels, nombre d’entre eux ayant été reportés (Green Tech à Amsterdam, reporté à l'automne). Ceux de fin d’été, Plantarium aux Pays-Bas, Four Oaks en Angleterre ou le Salon du végétal à Angers, prévu du 8 au 10 septembre, espèrent échapper à cette hécatombe. Mais comment promouvoir la manifestation en cette période d’incertitude ? Certains réfléchissent à de nouvelles formes de rencontres, peut-être virtuelles, ou au travers des applications.
Dans le secteur du paysage, totalement à l’arrêt au début de l’épidémie, puis qui a repris de manière contrastée courant avril, le court terme va aussi engendrer beaucoup de questions. Va se poser le problème des plantations laissées en souffrance, puis de la hiérarchisation des priorités. À plus long terme, les collectivités ont commencé une réflexion lors d’un webinaire, un séminaire sur Internet, le 9 avril dernier. Elles étaient encore trop préoccupées par le court terme pour se projeter très loin, mais des idées ont été émises. Elles portent sur l’extensification de l’entretien des espaces et sur la question de la plantation des massifs fleuris. Pas très original, et même plutôt dans la continuité des réflexions actuelles.
Il faudra de toute façon être sortis de la crise et de l’urgence pour réfléchir plus sereinement et sérieusement. Dans notre prochaine édition, nous consacrerons notre dossier à ce sujet, pour tenter d’apporter notre pierre à cet édifice. Il ne pourra cependant se construire qu’au fur et à mesure que l’on jugera les impacts profonds de la crise sur notre société, car, pour l’instant, les estimations restent bien imprécises et délicates.
Odile Maillard et Pascal FayollePour accéder à l'ensembles nos offres :